Le gouvernement turc cherche encore, à distance, à persécuter notre amie Pinar Selek pour essayer de la faire taire.
Voici la lettre qu’elle nous a envoyé:
“Mes ami.es, collègues et solidaires,
Même si nous sommes sous le torrent des élections, je vous prie de me lire.
J’aurais voulu écrire cette lettre pour vous remercier. À Istanbul, à Lyon et dans d’autres lieux, vous étiez…tant de choses : générosité, amitié, courage, force, amour… En mobilisant vos multiples ressources si différentes, vous avez créé la puissance du feu déchaîné. Comme je l’ai dit à Lyon : « C’est ça le côté magique de la vie. Qui fait pleurer. De la joie. De la force ». Je sais que vous avez encore le souffle. Au moins jusqu’au 7 février. Et je sais que certain.es ont commencé à réfléchir à comment Créer-Agir la prochaine fois… Les idées magiques tournent déjà. Je prendrai le temps de remercier chacune et chacun car chaque contribution était précieuse et unique.
Dans cette petite lettre je tiens à m’exprimer sur un point préoccupant et demander votre soutien, ici en France. L’attaque actuelle du Ministère de l’Intérieur turc contre l’Université française vise à intimider mon entourage concernant mes questions de recherches. Il aura du mal. Les réactions rapides et solidaires de mon laboratoire, de plusieurs universités et d’associations disciplinaires le montrent. Le dernier communiqué de mon comité de solidarité explique ce qui s’est passé avant et durant l’audience (*).
Et je prévois ce qui va arriver. J’ai de l’expérience. Depuis 26 ans, je lutte contre un pouvoir fasciste et très fort qui se permet tout : calomnies, complots, menaces… Je connais bien son histoire et ses capacités diplomatiques. Les spécialistes de la question arménienne (Y. Ternon, R. Kevorkian, etc) expliquent comment ces liens diplomatiques ont empêché l’Université française de porter des recherches académiques jusqu’aux années 1970, sur le génocide des arménien.es. Je sais qu’aujourd’hui, ils ne renoncent à aucune manœuvre pour m’inciter à m’abstenir de faire mon travail. Le message donné lors de la dernière audience était plus que clair : durant ces six mois, je dois me montrer prudente quand je parle, quand j’écris, quand je cherche…surtout pas toucher à certains sujets comme la question kurde.
Connaissant ce pouvoir politique, je sais que cet acte fait partie d’une stratégie élaborée. Il me faut donc construire une stratégie de « persister et signer ».
La perte de l’autonomie de la pensée peut se faire de manière très insidieuse. Le pire serait de faire profil bas. Ce n’est pas mon choix.
Je poursuivrai mes activités scientifiques sans me priver de certains sujets. Surtout, je suis en train de finaliser un livre qui représentera une charnière dans cette histoire. Vous lirez bientôt ma parole sur ma recherche confisquée et qui saigne en moi depuis 26 ans. Voilà un bout de sa préface : « Ma recherche était un organisme vivant. Elle était née et elle a continué à grandir. Elle a été juste enlevée mais pas avorté. La naissance n’est pas la publication. Ces matériaux sont blessés mais toujours en vie, en transformation, en vibration. Pour les soigner, j’écris ».
Ils ont réussi à me couper de mes terrains de recherche en m’enfermant dans le territoire français. Je ne leur permettrai jamais de limiter ma pensée.
Je sais que ma persistance n’est pas un acte individuel et fait partie d’une lutte collective. Mais j’ai terriblement besoin de nourrir mon courage avec le vôtre.
Pinar
(*) Vous pouvez lire ces différentes déclarations ici : https://pinarselek.fr/ Lisez l’excellent analyse d’Aude Merlin et de Jean-Philippe Schreiber, professeur.es à l’Université libre de Bruxelles, qui étaient à Istanbul le 28 juin. https://www.lalibre.be/debats/opinions/2024/07/02/pinar-selek-la-liberte-confisquee-IWL3SFJBPJF7BLJIQMB6Y7CJJM/
Une bonne nouvelle est malgré tout arrivée:
“Une fois encore notre mobilisation a payé : les collectifs de solidarité et la délégation nombreuse à Istanbul ont déjoué la manoeuvre du Ministère de l’intérieur turc, dans sa tentative d’assimiler une conférence universitaire organisée en France sous la responsabilité de l’Université Côte d’Azur, de l’Université Paris Cité, du CNRS et de l’IRD, à un “acte terroriste”. Il s’agissait d’étayer sa demande de notice rouge à Interpol, afin d’établir des liens supposés entre Pinar Selek et le terrorisme.
Les institutions académiques françaises ont immédiatement protesté avec véhémence dans un courrier officiel adressé à la Cour en amont de l’audience d’aujourd’hui. La plaidoirie d’un des avocats de Pinar Selek a permis de démontrer l’inanité de cette manœuvre calomnieuse et diffamatoire, qui essaie d’influencer les juges du Tribunal d’instance d’Istanbul, ainsi que de nous intimider toutes et tous, en Turquie comme en France. Aussi, le juge a-t-il annoncé un nouveau report d’audience au 7 février 2025 demandant la présence de Pinar Selek en refusant qu’elle soit entendue par voie de commission rogatoire, comme le permet pourtant la pratique de l’entraide pénale internationale.
Car, rappelons-le, à chaque fois que Pinar a été jugée (4 fois déjà !), elle a toujours été acquittée ! Le Tribunal d’Instance turc doit prononcer l’acquittement de Pinar Selek, puisque depuis 26 ans, ce dossier ne repose sur aucune preuve mais sur une falsification des faits, visant à faire taire cette universitaire, écrivaine et militante pour la paix. A travers elle, toute recherche, création et parole libre est visée.
Mais nous continuerons à nous tenir aux côtés de Pinar Selek, en Turquie, en France, dans toute l’Europe, comme aujourd’hui et au-delà (aux Etats-Unis, en Inde, en Amérique Latine), pour dénoncer ce procès politique mené contre la liberté académique et contre la liberté d’expression. Nous veillerons à ce que Pinar Selek puisse continuer à travailler et à s’exprimer librement en dépit de ces nouvelles menaces. Nous ne permettrons pas que le pouvoir turc continue son acharnement, et ses tentatives d’ingérence dans la justice, la recherche, la création et son expression citoyenne. Nous serons à Istanbul le 7 février et jusqu’à ce que justice soit rendue à Pinar Selek pour son acquittement définitif.
La coordination des comités de solidarité avec Pınar Selek”
Il faut cependant rester vigilant et solidaire face aux dictatures, tout comme les universités de Strasbourg, Aix et Lyon qui ont publié ce positionnement:
Soutien réaffirmé à Pinar Selek, à l’occasion de son procès en Turquie le 28 juin 2024
Vendredi 28 juin 2024 s’est tenu à Istanbul une nouvelle étape du procès de Pinar Selek, chercheuse turque exilée en France. Le jugement a été remis à une séance ultérieure, qui devrait se tenir le 7 février 2025. L’audience a confirmé l’acharnement judiciaire contre la sociologue, dont les autorités turques visent à obtenir l’extradition par de nouvelles accusations de terrorisme bafouant les principes mêmes de la liberté académique.
Pinar Selek est enseignante-chercheuse en sociologie et écrivaine. Elle est poursuivie depuis plus de 25 ans par le gouvernement d’Ankara, en raison de ses prises de position et de ses écrits. À travers ses travaux de recherche et ses engagements, Pinar Selek est impliquée dans de nombreuses causes, notamment en faveur des droits des minorités, et notamment des populations kurdes, en faveur des droits des femmes et contre les discriminations dans la société turque.
Pinar Selek a été accueillie par plusieurs établissements français d’enseignement supérieur et de recherche au cours de sa carrière. Elle s’est vu décerner un doctorat Honoris Causa par l’ENS de Lyon en 2013, a soutenu sa thèse de doctorat en science politique à l’Université de Strasbourg en 2014, où elle a obtenu l’asile académique, a été accueillie au Collegium de Lyon (Institut d’études avancées) en 2014-2015 et est enseignante-chercheuse à Université Côte d’Azur depuis 2022.
En avril dernier, dans le cadre du festival « Printemps des migrations » soutenu par Université Côte d’Azur, et en lien avec ses travaux scientifiques, Pinar Selek a modéré une table ronde à laquelle participaient des femmes kurdes. Cet événement, considéré par le ministère de l’Intérieur turc comme un acte terroriste organisé par le PKK, a donné lieu à un nouveau chef d’inculpation devant le tribunal. Ces accusations bafouent la liberté académique et menacent la liberté d’expression de Pinar Selek jusque dans ses activités scientifiques en France.
Une délégation française composée d’élus de différentes collectivités, de représentants des universités, d’associations et de syndicats s’est rendue à Istanbul ce 28 juin en soutien à la chercheuse. Les universités de Strasbourg et Côte d’Azur ainsi que la ComUE Université de Lyon, représentées à Istanbul à cette occasion, réaffirment leur soutien indéfectible à Pinar Selek et rappellent la nécessité de défendre la liberté académique en toutes circonstances.
Déclaration commune de :
- Université Côte d’Azur
- Université de Lyon
- Université de Strasbourg
La CNT-AIT de Pau réaffirme son soutien à Pinar Selek et condamne la répression organisée à son encontre par le gouvernement Turc.