Extrait de l’Action syndicaliste (Organe de la CNT – Section française de l’AIT), n° 24, 25 décembre 1946, p. 1-2.
La fondation de la Confédération nationale du travail en décembre 1946 est un évènement syndical peu étudié. Nous publions ici le texte intégral du compte rendu du congrès constitutif de la CNT tel qu’il parut dans le journal L’Action syndicaliste, qui devait devenir bientôt Le Combat syndicaliste, comme décidé au congrès.
Il y aurait beaucoup à dire sur cet évènement sur lequel nous souhaitons publier d’autres documents. Pour l’heure, nous nous contenterons de signaler que la création de la CNT fut la première réaction syndicale face à l’emprise communiste sur la CGT dans l’immédiat après-guerre. Il faudrait une étude sérieuse pour se prononcer sur les causes du déclin de la CNT dans les années qui suivirent, mais la fondation de la CGT-Force-Ouvrière en 1947, en fournissant une autre alternative syndicale à la CGT, fut certainement un facteur important[1].
Au congrès de 1946, il faut noter en premier lieu la présence et l’influence de l’ancienne équipe dirigeante de la CGTSR : Pierre Besnard et Julien Toublet. Il est ainsi fait référence à la Charte de Lyon, qui régissait la CGTSR ; la CNT française se place directement dans la filiation de son modèle espagnol ; l’adhésion à l’ AIT (dont Besnard a été secrétaire) y ait entérinée.
Mais d’autres positions, faisant référence à l’économie distributive, sont présentes. Le congrès aborde une discussion intéressante sur plusieurs questions économiques qu’il faudrait étudier plus avant (refus des comité d’entreprise, mais acceptation du délégué ouvrier, échelle mobile des salaires, etc.).
Notre congrès
Compte rendu des débats du congrès constitutif
7, 8 et 9 décembre [1946]
A l’ouverture de la première séance, le président donne connaissance de différents messages de solidarité d’organisations françaises et étrangères.
Après que Rotot en fait adopter l’organisation des débats, Juhel développe le rapport d’activité. La présence des délégués à ce congrès démontre que le bureau, la C.A. et les militants du pays ont travaillé activement, pendant les six mois écoulés, pour le développement de la C.N.T. Il indique que pour l'”A.S.” les syndiqués ne font pas tout ce qu’ils devraient pour sa diffusion et termine en demandant aux délégués de prendre, pour l’avenir, des décisions viriles qui fassent de la C.N.T. une puissante centrale syndicale.
Le Marc, administrateur de l'”A.S.”, développe le rapport financier du journal. Il porte à la connaissance des congressistes que beaucoup de dépositaires oublient de régler les envois, ce qui crée, pour la trésorerie du journal, un découvert qui risque de le faire sombrer.
Toulouse, Bordeaux, P.T.T.-Paris, Alger interviennent dans la discussion. Besnard demande l’extension de la presse à la librairie et propose le changement de titre du journal. Après cette discussion, Le Marc propose la nomination d’une commission de cinq membres chargée d’établir un rapport en tenant compte des différentes propositions. Sont désignés : Peyrissaguet (Limpoges), Lapeyre[2] (Bordeaux), Jammes (Toulouse), Darsel (P.T.T.-Paris), Giraud (Bâtiment-Paris).
Après avoir disjoint du rapport d’activité la partie ayant trait au journal, ce dernier est adopté à l’unanimité.
La commission désignée rapporte ce qui suit :
Trésoreries indépendantes pour la librairie, le journal et le bulletin. Augmentation du timbre confédéral avec ristourne de 2 fr. pour la presse, dont 1 fr. ira au journal et 1 fr. au bulletin intérieur. Ce dernier sera servi gratuitement aux adhérents. Provisoirement, les 2 fr. iront au journal, jusqu’à ce qu’un C.C.N. décide de la parution du bulletin. Ces propositions sont adoptées par le congrès, qui décide en outre la création d’une commission du journal composée d’un administrateur et d’un rédacteur, d’une commission de la librairie, composée d’un administrateur et d’un responsable à la vente et aux achats, d’une commission du bulletin, composée d’un administrateur et d’un rédacteur. Ces six responsables formeront la commission confédérale de presse et de librairie. Le congrès décide également de prendre pour le journal le titre de “Combat syndicaliste”.
Doussot développe le rapport financier. Une commission de contrôle composée des camarades Noël (Toulouse), Le Bihan (Rouen), Perrissaguet (Limoges), est désignée pour la vérification des comptes. Le rapport de cette dernière indique la bonne tenue des comptes et le rapport financier est adopté.
Le rapport international est développé par Besnard, qui expose les raisons qui nécessitent au plus tôt une conférence des bureaux occidentaux de l’A.I.T. Bernardo Pou, secrétaire de l’A.I.T. pour l’Europe Occidentale, complète l’exposé de Besnard.
Le rapport, ainsi qu’une résolution s’y rattachant, sont adopté à l’unanimité.
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Le Congrès Constitutif de la C.N.T., après avoir entendu la lecture et les commentaires du rapport international ainsi que les explications fournies par le représentant de l’A.I.T. et de son bureau occidental, déclare qu’il est pleinement solidaire de l’A.I.T. et de toutes ses centrales nationales, dans leur lutte pour le triomphe du syndicalisme révolutionnaire international.
Il affirme, en outre, sa volonté inébranlable de participer à cette lutte avec toutes ses forces et tout son coeur. Il assure les Centrales soeurs et plus particulièrement celles qui souffrent encore sous la botte fasciste comme l’Espagne et le Portugal, ou incomplètement libérées comme l’Italie, la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie, la Tchécoslovaquie, la Pologne, ainsi que les prolétariats Balkaniques et Baltes de sa solidarité entière.
Cependant, il considère en premier lieu que son devoir le plus impérieux consiste à aider la C.N.T. Espagnole à libérer son pays du joug de Franco et tous ses efforts tendront vers ce but.
Ensuite, il joindra ses efforts à ceux de la C.N.T. Espagnole pour débarrasser le Portugal de Salazar et l’Italie de l’occupation alliée, pour constituer le bloc latin des pays occidentaux et établir entre ces pays un synchronisme d’action qui doit s’étendre à toute l’Afrique du Nord et jeter les bases nouvelles de l’action de l’A.I.T. dans tous ces pays.
Enfin, le Congrès demande, pour étudier cette situation en commun et arrêter les tactiques nécessaires, la réunion le plus tôt possible du bureau occidental qui devra lui-même envisager à très bref délai un congrès extraordinaire de l’A.I.T.
Résolution n° 1
L’ordre du jour appelle l’examen du projet de statuts confédéraux dont Toublet est rapporteur. La discussion fut longue et passionnée. Nous ne la relaterons pas ici en raison du manque de place. Le projet de statuts, modifié par le Congrès, paraîtra incessamment en brochure. Les camarades voudront bien s’y rapporter.
Le camarade Bézard commente ensuite son rapport sur la condition paysanne. Après différentes interventions, le rapport et une résolution s’y rattachant sont adoptés. En outre, le Congrès décide l’édition d’une brochure traitant de la question.
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Le Congrès insiste auprès des syndicats de la C.N.T. sur la nécessité et l’urgence d’une liaison revendicative entre les ouvriers agricoles et les ouvriers industriels. Il ne peut y avoir de véritable transformation du statut social sans un concours réel et actif des couches paysannes qui connaissent comme les ouvriers citadins, la dure et arrogante exploitation du capitalisme foncier, industriel et financier.
Les luttes revendicatives du prolétariat des villes auront aussi plus de chances de réussite si elles sont comprises des exploités de la terre, si elles ont leur sympathie et sont soutenues par eux.
Dans la période révolutionnaire, la solidarité de la paysannerie doit avoir son complément naturel par l’intégration de l’économie agraire dans une économie rationnelle distributive te fédéraliste, grâce à la mise en gestion par les paysans pauvres des grands domaines fonciers et l’adhésion volontaire des petites exploitations sans salariés à une organisation communale qui réalisera la collectivisation des biens et des produits de la terre.
A cet événement, la C.N.T. doit se préparer et préparer le monde paysan. Elle doit s’efforcer de grouper les ouvriers agricoles dans des syndicats, en opposition avec les seigneurs de la terre, adversaires irréductibles de leurs intérêts, en axant leur mouvement sur les contradictions inconciliables de classe.
Parallèlement, et pour une date plus lointaine, organiser les petits exploitants n’utilisant aucune main d’oeuvre salariée, en organisations distinctes en se rapprochant des ouvriers agricoles groupés au sein de la C.N.T.
Dans un cas comme dans l’autre, les organisations devront reposer sur des principes fédéralistes, contrairement aux organisations similaires des représentants du capitalisme agraire.
Pour atteindre ces buts, le congrès recommande la constitution de commission paysanne au sein des U.R., afin de poursuivre l’étude des revendications spécifiques des couches paysannes et de vulgariser notre position sur ce problème ; l’impression de brochures de vulgarisation qui permettraient de répandre dans le monde paysan, les solutions que nous préconisons, sous le contrôle de la C.N.T. de s’efforcer de détourner la masse paysanne des organisations qui ont frauduleusement capté sa confiance en faisant pénétrer dans ces dernières, les éléments d’information susceptibles de nous faire connaître.
Résolution n° 2
Le rapport sur les salaires et heures de travail, établi par Jacquelin est divisé en deux parties. Celle concernant les salaires est développée par Rotot, qui préconise l’application de l’échelle mobile des salaires, avec instauration d’une monnaie intérieure. Différents délégués s’élèvent contre cette conception, arguant que les syndicalistes n’ont pas à travailler au redressement du capitalisme.
Nouvel (Produits chimiques-Paris) défend l’instauration d’une monnaie de consommation. Le Congrès désigne une commission de résolution sur cette question.
Les débats se continuent sur les rapports de Bordeaux, Comités d’entreprise et de Limoges. En ce qui concerne le premier, le Congrès décide à la majorité que les membres de la C.N.T. ne peuvent participer aux Comités d’entreprise. Il en est tout autre en ce qui concerne les délégués ouvriers.
La résolution présentée par Nouvel sur la monnaie de consommation est repoussée par le Congrès. Après la suppression du passage concernant la monnaie intérieure, la première partie du rapport Jacquelin, défendue par Rotot, est adoptée
La deuxième partie, concernant les heures de travail, est développée par Jacquelin, qui démontre la nocivité des longues journées et conclut en indiquant la nécessité de la diminution des heures de travail.
Dimanche apporte des précisions sur le rapport présenté par le Syndicat des Industries et Métiers d’Art-Paris, se déclarant partisan de mener la lutte pour l’instauration des 32 heures.
Une résolution concernant salaires et heures de travail est adoptée.
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Résolution n° 3
Le congrès après étude des rapports relatifs aux salaires, coût de la vie et diminution des heures de travail considère :
Que pour harmoniser le standard de vie du producteur avec la hausse nécessaire des prix, il y a lieu de pratiquer l’échelle mobile des salaires avec rétroactivité, permettant ainsi aux salaires d’avoir l’élasticité indispensable au maintien du standard de vie des travailleurs;
Que dans les conjonctures présentes et tenant compte d’une part de la modernisation de l’outillage, et d’autre part de la déficience physique consécutive au rationnement alimentaire il y a lieu de porter la durée du travail hebdomadaire à 32 heures.
Il s’engage à faire le maximum de propagande et d’agitation pour la réalisation de ces revendications.
L’orientation syndicale est présentée par Besnard. Bordeaux déclare que les jeunesses syndicalistes doivent faire partie de la tactique et non des principes. Il indique que la charte de Lyon lui semble supérieure et demande la discussion sur cette dernière. Métaux-Paris demande des précisions sur l’organisation des consommateurs. Employés-Paris réclame la discussion de l’orientation en ce basant sur la charte d’Amiens. Toulouse et P.T.T.-Paris sont d’accord avec Bordeaux.
Le rapporteur répond qu’il n’y a pas de discrimination à faire pour les jeunesses syndicalistes dont la formation est dans les principes et que la charte de Paris est la copie de la charte de Lyon, avec quelques modifications.
Après un vote par mandat, le Congrès opte pour la discussion de la charte de Lyon. Une commission est désignée pour mettre un texte debout et en rapporter devant le Congrès. La charte adoptée par le Congrès paraîtra en brochure incessamment, les camarades s’y rapporteront.
Le Congrès passe ensuite à la nomination de la nouvelle C.A. confédérale qui est composée de 15 membres et de 5 suppléants pris dans les syndicats de la région parisienne.
La séance matinale du lundi 9 est consacrée à la constitution des fédérations et à la tenue du C.C.N.
Ce dernier, conformément aux statuts adoptés, procède à l’élection du bureau confédéral, administration et rédaction du journal et administration de la librairie.
L’après-midi, fin d’examen des statuts. Sur le timbre solidarité, dont le prix de vente aux adhérents est fixé à 10 fr., 5 fr. iront à la caisse confédérale de solidarité et 5 fr. au[x] U.R. ou syndicats, suivant la décision des U.R.
Pour les adhérents individuels, le Congrès décide de porter leur cotisation à 30 fr.
Dans les questions diverses, le principe de la création d’un insigne est adopté.
Mirande (Toulouse) donne connaissance du travail accompli dans cette localité sur le plan coopératif. Il expose les conceptions des camarades sur l’organisation coopérative.
Rapport [?] Toublet, sur la possibilité d’une synthèse entre le syndicat d’industrie et les nécessités de métier. Devant le manque de temps restant aux congressistes, ces derniers décident de reporter la question devant les syndicats afin qu’elle soit solutionnée au prochain C.C.N.
La tenue du prochain Congrès est fixée à Toulouse.
Les camarades Bernardo Pou, représentant de l’A.I.T. et Malsand, de la C.N.T. espagnole, saluent le Congrès au nom de leurs organisations.
Après adoption, à l’unanimité, de la résolution finale, le Congrès est déclaré clos.
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Résolution n° 4
La Congrès de la Confédération Nationale du Travail, réuni salle Sassel, 206, Quai de Valmy, à Paris, les 7, 8 et 9 décembre 1946, après étude des rapports qui ont été discutés ; affirme que le syndicalisme révolutionnaire ne doit apporter aucun effort à la continuité du régime capitaliste. Il affirme à nouveau que, seule, la transformation sociale, par la révolution, apportera la libération totale et définitive du prolétariat. En conséquence, tous ses efforts tendront vers ce but.
Considérant que les travailleurs doivent défendre quotidiennement leurs conditions d’existence, le congrès précise qu’il est indispensable et urgent de faire aboutir pour leur assurer un moyen permanent de vie décente la pratique de l’échelle mobile des salaires avec effet rétroactif.
Qu’il y a lieu en outre, de supprimer l’impôt cédulaire, survivance de l’état de guerre dont la disparition était prévue, le congrès demande en outre l’abrogation pour les travailleurs, de l’impôt sur le revenu qui spolie la classe ouvrière, en assimilant les salaires aux revenus capitalistes, d’assurer aux vieux travailleurs qui ont apporté une longue vie de travail à la collectivité, une retraite égale au salaire moyen départemental et, à la charge du capitalisme qui a profité de leurs efforts.
Les invalides du travail étant victime du capitalisme au même titre que les invalides de guerre, le congrès demande que leur rente invalidité soit égale aux salaires moyens de leur profession.
Considérant en outre que la formule à travail égal, salaire égal, est toujours d’actualité, demande que les femmes bénéficient du même traitement que les travailleurs masculins.
Le congrès demande la suppression pure et simple du décret de Vichy sur l’embauchage et le débauchage, avec le retour à la liberté du travail, que les élections des délégués ouvriers s’effectuent selon les modalités prévues en 1936, en conséquence, il demande l’éligibilité sans distinction de sexe et de nationalité aussitôt la période d’essai terminée, la révocabilité des délégués à tout instant par l’Assemblée générale du personnel et l’éligibilité des candidats condamnés pour action syndicale.
Les contrats collectifs liant les employeurs et leur personnel, nous indiquons que dans les périodes instables, les salariés n’ont aucun intérêt à leur application.
Le congrès déclare que les syndicats appartenant à la C.N.T. participeront à toute grève revendicative avec les conceptions et les méthodes particulières au syndicalisme révolutionnaire.
Le Congrès s’élève contre les prétentions de la C.G.T. visant à monopoliser les droits syndicaux, malgré et en désaccord avec sa position prise lors du vote de la constitution reconnaissant la liberté syndicale.
Le congrès élève une protestation énergique contre l’autorisation préalable et le muselage des journaux, réclame le retour à la liberté totale de la presse.
Le Congrès s’élève contre la préparation militaire préconisée par la C.G.T. pour asservir selon des méthodes fascistes, la jeunesse et la préparer à l’holocauste sanglant, profitable au capitalisme, contre la nouvelle guerre qui se prépare, sous prétexte de liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il affirme en outre, que la paix étant à l’ordre du jour des peuples, tous les pacifistes qui sont encore dans les geôles, soient immédiatement libérés.
Enfin, le Congrès se déclare partisan de la communication directe entre les peuples et demande l’adoption d’une langue internationale.
Le Congrès se sépare en décident [sic] de faire le maximum d’efforts afin de faire triompher touts ces revendications.
VIVE LA C.N.T.
VIVE L’A.I.T.
[1] Il est connu qu’un certain nombre de militants syndicalistes révolutionnaires (notamment du groupe de la Révolution prolétarienne) et anarchistes (comme Maurice Joyeux) donnèrent leur préférence à FO. D’ailleurs, nous avons noté dans les premières réunions de FO certaines interventions très marquées, comme notamment la demande d’adhésion d’un délégué du CCN de FO à l’AIT.
[2] Militant anarchiste (avec son frère) bordelais.