Je garde au cœur cette journée d’été, heureuse et arrosée, durant laquelle Gilbert m’avait fait la visite de son Paris. Nous ne sommes pas allés au Louvre ou au musée d’Orsay, ni au centre Pompidou et encore moins aux invalides. Le Paris de Gilbert était à son image : un tranquille déambulement qui ne néglige jamais les chemins de traverse, passant par la rue de la Ferronnerie – car il faut toujours saluer les régicides – et devant ce qui fut l’atelier qui fabriquait les guillotines, puis dans le VI° arrondissement où vécu Danton, mourut Marat avant de ne devenir le repère des relieurs au moment de la Commune. Le quartier d’Eugène Varlin et Nathalie le Mel et de leur société coopérative d’alimentation, « la marmite », rue Larrey. Il fallut s’arrêter boire un cognac au café du Croissant, à la table de Jaurès (il me laissa la place du mort, hospitalité oblige, Gilbert n’était jamais vilain) avant de ne rendre hommage à Guy Debord dans l’un des derniers bars encore ouverts qui fut un repère des situationnistes et où Gourio allait souvent puiser son inspiration. Gilbert aimait Paris et moi j’ai aimé ce Paris là, parce qu’il ressemblait à cet homme. Irrévérencieux, fidèle au peuple, provocateur et truculent, un Paris de fureur et de tendresse… et d’amitié, surtout.
Gilbert nous a quitté, sous morphine. C’est mieux que rien. Trop tôt bien sûr. Avec Michou, ils avaient battu retraite à Précilhon pour les vieux jours, il y a quelques années. Un retour au source pour cet enfant d’Oloron-la-vieille. Et puis voilà. En maigre consolation, il nous reste les écrits de Toulouse-la-Rose, son pseudonyme (outre les Ignace de l’Aïoli, Isidor Cocasse, Amstel Joviale ou encore Eschyle Zavatar). Vive Toulouse, donc. Il fallait bien Gilbert pour me la faire écrire celle-là. Aphorismes, essais, réflexions sur l’histoire, poèmes, pamphlets, articles, écrits en tout genre, c’est le cadeau d’adieu qu’il nous a laissé : « Debord contre Debord », « Nos ancêtres les sans-culottes », « Estompes jargonnaises, derniers poèmes pour la déroute », « Pensées, donc », « Sentence de solitaire », « Du singe au songe », « La véritable biographie maspérisatrice de Guy-Ernest Debord considérée sous ses aspects orduriers, cancaniers, folkloriques, malveillants, nauséabonds, fielleux, et notamment vulgaires et du manque de moyens pour y remédier… » pour en citer quelques uns. Gilbert avait l’art de la formule et des titres. Moi, je ne suis pas très en verbe aujourd’hui. Je vais m’en relire un, histoire de faire passer la pilule. Bises à Michou et Pablo. Gilbert n’aimait pas les au revoir, moi je n’aime pas les adieux.
Jipé
A paraître dans le numéro de décembre 2025 de la révolte.
Photo: Gilbert avec Lucio, le faux-monnayeur anarchiste, en 2015.