Le mouvement des gilets jaunes a mis en avant le problème de la récupération et des manipulations dans les mouvements sociaux. La question est de savoir comment nous pouvons garder le contrôle collectivement sur nos luttes.
Le problème du représentant.
Nous avons bien compris qu’avec les représentants, nous perdons le contrôle de la parole au profit de ces dits représentants. Le problème, c’est que le fait de ne pas désigner de représentant ne résout pas forcément le problème.On l’a vu, les médias et le pouvoir peuvent mettre en avant des représentants auto-proclamés. Ne désigner personne pour porter notre parole, c’est permettre à n’importe qui de dire n’importe quoi à n’importe qui.
Que pouvons-nous faire ?
Il est essentiel de commencer par se mettre d’accord sur le message que nous voulons porter collectivement : définir le message. Il faut ensuite stipuler à qui nous voulons nous adresser et dans quelles conditions (parle-t-on à la presse, aux politiques, au préfet ?…). Tout cela définit le mandat.Une fois que nous avons un mandat précis, il faut choisir un ou plusieurs délégués chargés de l’exécuter. On peut tirer au sort parmi les volontaires ou élire ces délégués.
Le plus important, c’est que nous gardions le contrôle sur nos portes paroles, ce qui implique :
– Ils doivent rendre des comptes aux assemblées générales.
– Ils sont révocables à tout moment par l’AG. S’ils ne respectent pas le mandat, on les vire et nous en prenons d’autres.
– Il ne faut pas qu’ils restent délégués trop longtemps. Il faut favoriser la rotation des tâches pour éviter la personnalisation.
Pour cette même raison, c’est mieux si ces délégués ne sont pas connus politiquement ou syndicalement et que ce ne soit pas non plus des gens qui ont acquis une certaine célébrité durant le mouvement. Ce n’est pas la presse ou le pouvoir qui doivent choisir nos portes paroles mais nos assemblées générales.
Les assemblées générales.
L’enjeu principal pour les groupes politiques est de contrôler et manipuler les assemblées générales ou – lorsqu’ils n’y arrivent pas – de les saboter.Nous voulons décider par nous-mêmes. Si nous n’y arrivons pas alors cela conforte l’idée qu’il faut s’en remettre à un énième « homme providentiel ». C’est pour cela que les politique essayent toujours de déplacer les lieux de débats et de décisions en dehors des AG.
En semant la confusion dans les AG, les manipulateurs peuvent justifier le fait que l’on en peut pas débattre et décider en AG et donc qu’il faut le faire en petit groupe. C’est la base nécessaire pour manipuler un mouvement. Quelques personnes sont plus facilement contrôlables que tout le monde.
La technique classique c’est de créer une commission qui est censée rendre des comptes à l’AG mais qui la met souvent devant le fait accompli. Bien sûr, il peut y avoir des groupes de travail sur des sujets spécifiques mais leurs travaux doivent être débattus, modifiés et votés (ou pas) en AG.
Avec les nouvelles technologies, on voit aussi se développer les pratiques de discussions par internet et de « démocratie virtuelle ». Elle est vraiment virtuelle la démocratie dans ce cas ! L’utilisation d’internet pour remplacer les AG pose plusieurs problèmes :
– Nous ne sommes pas tous égaux dans l’accès et la maitrise des nouvelles technologies.
– La toile est un lieu fait pour les spécialistes, un petit groupe organisé et rompu à la pratique des nouvelles technologies peut très facilement orienter les débats ou les interdire.
– Internet, ce n’est pas une discussion, un débat, c’est une suite d’affirmations venues des uns et des autres. C’est d’ailleurs rarement un espace serein : l’anonymat favorise les invectives, les mensonges et les injures. Les groupes conspirationnistes et antisémites d’extrême droite sont des spécialistes de la manipulation via internet.
– Internet est chronophage, on est vite submergé par les message, cela avantage ceux qui ont le temps de passer des heures devant leur écran.
– Internet est contrôlé par des patrons qui ont des intérêts qui sont à l’opposé des nôtres : Zuckerberg a reconnu avoir donné les infos qu’il a récolté sur facebook pour faire élire Trump ; en France, les patrons du net comme Xavier Niel sont les amis de Macron. Par ailleurs, ces patrons du net collaborent tous avec les gouvernements et leurs services de renseignements. A commencer par la CIA et la NSA, le FSB russe et la DCRI française.
Débattre et décider tous ensemble en assemblée générale, ce n’est pas facile, surtout quand on n’a pas l’habitude, mais c’est le seul moyen de décider collectivement. Mais il faut mettre en place des pratiques qui nous permettent d’éviter que quelques petits malins viennent les saboter.
Quelques éléments pour qu'une AG se déroule bien:
– L’ordre du jour doit être bien fait. Une AG, c’est fatiguant et c’est long. Il est impératif de commencer par les sujets les plus urgents et les plus importants en premier.
– Celui qui distribue la parole ne doit pas intervenir à tout bout de champ et il doit rapidement passer à l’ordre du jour. Le mieux c’est de commencer par faire valider la proposition d’ordre du jour. D’apporter les éventuelles modifications et de commencer tout de suite les prises de parole.
– Si un groupe de travail rend un rapport, il faut le distribuer à l’avance et non faire une présentation sur le moment. Ca prend trop de temps. Le groupe ne doit être invité à parler que pour donner des explications si on lui pose des questions.
– Les points doivent être traités les uns après les autres en se donnant un temps limité par point et passer au vote de la décision avant de passer au point suivant.
– Au bout d’un moment, les discussions sur un point finissent par tourner en rond. Le rôle de celui qui distribue la parole est alors de faire un point d’ordre pour proposer d’arrêter la discussion après un dernier tour d’interventions et de rappeler les différentes propositions.
– Si le distributeur de parole ne fait pas bien le boulot, il faut en changer tout de suite.
– Ce rôle doit tourner pour éviter les prises de contrôle et pour qu’un maximum de personnes s’habitue à cet exercice.
– Une AG ne doit pas dépasser trois heures de temps. Plus elle dure, moins on est lucide et moins on est nombreux, c’est à ce moment-là que les esprits s’échauffent et que surviennent les manipulations.